La bonne arrivée. Les « nassaras !!! » (les blancs) avec en supplément le « nassara bilè !!!!! » (l'enfant blanc) sont de retour. La foule est en délire !
« Ça fait deux jours » nous répète-t-on, l’expression signifie que cela fait longtemps, ça fait un peu plus de deux ans – l'âge de notre fils Nil – que nous avons quitté le Burkina. Nous sommes partis riches de souvenirs : une année de travail en tant que coordinateur pour l'association Jardins du Monde pour Nick, un ventre rond pour Rina, la promesse d'une famille grandie, une cantine pleine des objets qui habitaient notre petite maison de Koudougou (poteries, calebasses, pagnes colorés) dépassant largement le poids de bagage autorisé et dont il avait fallu marchander longuement avec la douane de l'aéroport la mise en soute, et des amis chers à regretter.
Nous retrouvons le pays des hommes intègres en cette Journée de lutte contre la corruption, des grands arbres, des génies, des ancêtres et des enfants grouillants, des sourires généreux et du soleil ardent, du sec et de la poussière, de l'harmattan et du déluge, des éléphants, des sorciers et des « cravatés »... En deux ans peu de changement si ce n'est les nouvelles naissances (des bébés à croquer !) qui poussent un peu plus les rares vieux burkinabè. Ici comme ailleurs les riches se sont enrichis (signes extérieurs : enveloppe corporelle et 4x4 suivent la même courbe de croissance), les pauvres se sont appauvris (inflation généralisée, sécheresse et risque récurrent de crise alimentaire).
Et nous revoilà, porteurs d'un petit projet de sorties pédagogiques avec des enfants de brousse.
Rêve couvé dans nos montagnes des Pyrénées. Le désir de faire perdurer les liens noués avec les anciens collègues, avec les producteurs de plantes médicinales soutenus par Jardins du monde, avec notre ami Ernest le tradipraticien (guérisseur utilisant les plantes) et le souhait d'associer notre nouvelle activité d'herboristerie à notre passé burkinabè, l’ont ensemencé. Et puis il nous restait tant à découvrir de la riche flore et culture burkinabè. Ainsi avons-nous commercialisé à titre associatif des plantes burkinabè en France. La production nous arrivait par l’intermédiaire de volontaires français de retour chez eux qui nous réexpédiaient les cartons de plantes séchées et les bidons de beurre de karité qu’ils avaient glissés dans leurs bagages. Nous déballions l’odorante production des petits villages de Mogueya, de Boutoko ou de Poun : des fleurs écarlates d’hybiscus (Hybiscus sabdariffa), des bouquets de chrysantellum (Chrysantellum indicum ssp afroamericanum), des rameaux de moringa (Moringa oleifera). Nous versions la préparation dans des sachets de papier kraft. La tisane était baptisée « Laafi Bala », transmettant nos vœux de « bonne santé » en Mooré, la langue dominante burkinabè. Nous confectionnions des baumes à base de karité dont on emplissait des bocaux de verre. Le bénéfice tiré de la vente de ces produits financerait des sorties en réserves destinées aux enfants des producteurs burkinabè. Un budget minimal pour une expérience qui se révèlera optimale !
Ce n’est qu’une fois sur place que le projet pouvait être mis en forme. Il fallait le confronter à la réalité de cette terre burkinabè.
Nous avons rendez-vous au maquis – guinguettes dont le nom évoque les rencontres clandestines qu’y donnent les hommes mariés, l’on y boit, l’on y mange, l’on y danse. Nous y retrouvons pour une réunion de travail Baba et Ga, employés de l'association Jardins du Monde. Le premier est en charge de la mise en place des jardins et pépinières, de l’achat de matériel, du suivi de la production et de la commercialisation. Le second est agent de santé, il dispense dans les villages des formations aux soins de base en phytothérapie. Nous leur faisons part du contenu de notre projet et leur expliquons comment nous avons récolté les fonds qui constitueront notre budget. Nous demandons anxieusement à nos camarades noirs leur avis, ayant souvent pu constater ce que nos projets de blancs pouvaient avoir d'extra-terrestre en ces contrées. Ils se montrent enthousiastes et insistent sur le caractère exceptionnel de ce projet. Une sortie au parc national, seuls quelques enfants de familles aisées, scolarisés dans des établissements privés de la capitale, peuvent prétendre à un tel privilège. Ce sera une expérience inespérée dont ces enfants de brousse se souviendront toute leur vie, nous disent nos amis. Comme nous en sommes heureux !
Nous demandons à Baba et Ga s'ils acceptent de nous aider à titre bénévole, de la même manière que nous le sommes. Nous sommes fiers de les entendre répondre qu'ils n'auraient pas accepté d'être payés. Ici tout service se monnaye et tout particulièrement les intentions de blancs. Baba et Ga nous aideront à l'organisation : ils nous mettront en relation pour trouver véhicule, chauffeur, guide etc. – ils serviront d'intermédiaires et négocieront les tarifs. Ils seront également accompagnateurs durant les sorties.
Nous convenons ensemble du mode opératoire.
Nous établissons une tranche d'âge pour les enfants ; dix ans est un minimum nous met en garde Baba. Plus jeunes, ils risqueraient d'être effrayés par une telle situation : quitter leur village pour la première fois, sans leur famille, avec d’inconnus blancs méchants loups… Pour le confort psychologique des enfants, deux parents nous accompagneront.
Nous souhaitions amener un enfant de chaque famille membre du groupement paysan, mais il y a 40 à 50 membres par groupement, trois cents enfants par sortie c’est beaucoup trop pour un minibus, même bourré façon taxi brousse. Louer un véhicule plus grand n'étant pas dans nos moyens financiers, nous décidons que chaque groupement désignera 20 enfants qui partiront. Nous nous inquiétons de savoir si cela ne génèrera pas de conflit. Baba nous dit que les villageois ont l'habitude de prendre des décisions collectives, qu'ils comprendront que l'on ne puisse amener tout le monde et se satisferont du départ de ce petit groupe. Les enfants feront un exposé au retour et nous prévoyons de faire tirer des photos afin de partager l’aventure avec ceux qui n'auront pas fait le déplacement.
Il faut en premier lieu trouver et réserver un véhicule à louer pour les sorties. Vincent nous louera son minibus avec ses services de chauffeur-mécanicien (les véhicules qui ont beaucoup roulé sont mis à rude épreuve sur les pistes de brousse et les pannes fréquentes). Ce dernier nous a fait un vrai prix d'ami alors qu'au Burkina engins motorisés et carburant coûtent autant qu'en France. Il est originaire de Poun et exprime sa joie d'amener les enfants de son village pour notre première sortie, prévue la semaine suivante. Nous nous rendrons au parc national des Deux Balé, situé près de la ville de Boromo, distante d'une centaine de kilomètres de Koudougou. Nous ferons en moyenne 2h30 de trajet aller. Nous partirons tôt le matin et ramènerons les enfants en fin d'après-midi.
En suivant, nous rencontrons Ernest, tradipraticien installé à Koudougou. Il sera notre guide pour découvrir la flore. Un pisteur du parc national instruira les enfants sur la faune de la réserve. Nous sommes fin prêts.
Nous suivons Baba au village de Poun où il se rend pour un suivi santé. Les petits villageois de moins de cinq ans sont chaque mois pesés et mesurés afin de détecter les problèmes de malnutrition et de tenter d’y pallier.
Les responsables du groupement de producteurs se sont réunis afin que nous leur présentions le projet de sorties. Nos explications sont traduites en lyélé, la langue locale propre à l’ethnie Gourounsi. Nous précisons que c'est grâce à la vente de leurs plantes qu'est financée la sortie. Nous laissons une liste pour les inscriptions d'enfants et fixons la date du départ. Les villageois se chargeront de la sélection des 20 enfants, cela sera discuté en présence du chef du village et de son conseil.
Nous profitons du déplacement pour visiter les jardins de plantes médicinales desquels Nick avait présidé à l’aménagement. Les arbres ont poussé en deux années ! La saison des pluies a été mauvaise, elle dure habituellement trois mois, cette année elle a cessé un mois trop tôt. L'eau des puits va tarir d'ici peu et une forte inquiétude règne quant à l’épuisement des denrées alimentaires.
Les enfants nous attendent. Ils sont accompagnés de leurs mères. Nous avons omis de demander l'inscription d'un groupe mixte, le groupe se compose majoritairement de garçons… Pour la prochaine sortie nous n’oublierons pas de demander la parité !
À une exception près, tous sont scolarisés. Ils ont comme convenu entre dix et douze ans et sont dans des classes s'échelonnant du CP au CM2, les enfants commencent souvent l'école tardivement. Un unique garçon est inscrit au collège. La plupart des enfants n'étudieront que jusqu'au certificat d'étude (examen marquant la fin du primaire). Les raisons en sont multiples : le collège est payant et les familles très modestes, l'établissement est éloigné du village ce qui génère des frais supplémentaires, les effectifs surchargés du primaire (une centaine d'élèves par classe) et les nombreux problèmes rencontrés par les enseignants provoquent difficultés d'apprentissage, dégoût et abandon chez les enfants. Certains d'entre eux cultiveront la terre de leurs ancêtres et conserveront les modes de vie villageois, d'autres tenteront leur chance à la ville et pousseront peut-être l'aventure jusqu'à cet eldorado qu’est la Côte-d'Ivoire.
À l'appel de son nom, chacun monte s'asseoir dans le bus. Fin de la liste, un garçon reste planté devant la porte. Il a tenté sa chance. Un génie m'a-t-il ajouté à la liste ? interroge-t-il du regard. Impossible de le prendre, nous ne parvenons pas à caser les deux parents accompagnateurs. Il faut choisir entre un père et une mère, cette dernière est embarquée d'office !
Départ ! Les enfants ne sont pas rassurés. Aucun ne bouge ni ne prononce un mot. Baba a eu raison de nous déconseiller l'inscription d'enfants de moins de dix ans. Ga a l'habitude de jouer le rôle d'animateur : il sensibilise des écoliers à la protection de l'environnement. Il essaie sans succès de faire causer notre petit groupe. Il tente alors de les faire chanter. En quelques murmures est choisie une chanson en français. Le petit chœur entonne timidement un chant de combattants (une histoire de marcher au pas…) dont mon grand-père aurait certainement repris le refrain mais que pour notre part, nous ne connaissons pas. Ensuite vient l'hymne national. Et on en reste là, merci !
Parmi les vingt enfants, un s’est rendu avec sa mère en Côte d’Ivoire visiter son père qui y est ouvrier agricole, un autre s’est déjà rendu à la capitale, tandis que la majorité emprunte pour la toute première fois un véhicule motorisé. Durant tout le trajet les enfants restent silencieux, leurs regards braqués sur le spectacle extérieur. Ils observent les villages, les camions, les troupeaux, les barrages… Les yeux s’arrondissent de surprise : nous croisons des dromadaires. Les enfants n'ont jamais vu la drôle de bête. C'est la première fois que nous en voyons dans cette province du Burkina. Mais qui se balance sur les bosses ? Des blancs évidemment !
Quoiqu’on le leur enseigne à l’école, les enfants parlent très peu le français et nous comprennent difficilement. Trois de nos accompagnateurs parlent lyélé et font office d'interprètes. Nous demandons aux enfants de citer les animaux et les plantes de leur connaissance. Nous apprenons que dans le périmètre de Poun, village de brousse loin de toute ville et voie de circulation, ne subsistent plus de grands animaux sauvages : antilopes, singes, phacochères ont été chassés. Les seuls mammifères encore présents sont les lièvres. Les éléphants n’y transhument plus. Seuls quelques chasseurs devenus vieillards peuvent évoquer le souvenir du lion ou de la panthère.
Les plantes sauvages font en revanche toujours parti de l'environnement naturel et du quotidien des enfants. Elles sont cueillies pour usage alimentaire ; les enfants se régalent des baies des arbres de brousse ; les mamans cuisinent des feuilles et des herbes en sauce pour accompagner les préparations de céréales : le tô de sorgho et de millet. Elles collectent aussi des plantes pour soigner la maisonnée.
La piste est longue et nous mettons deux bonnes heures à gagner l’entrée de la réserve. Bévue, nous avons oublié de préciser aux enfants de demander un arrêt en cas de besoin. Un garçon a fait caca dans son pantalon. Aucun de ses petits camarades pourtant assis collés à lui ne s'est plaint ni n'a même grimacé. Ce n'est qu'une fois arrivé que nous l'avons remarqué. L'enfant est-il malade ? Les lyélophones nous disent que non ; il n'a seulement rien osé demander et n'a plus pu se retenir. Nous demandons un seau d'eau à l'accueil, le petit part derrière les buissons faire sa toilette et laver son pantalon.
Nous nous rendons d'abord au bureau d'accueil pour nous acquitter du droit d'entrée et prendre un guide. Les enfants et accompagnateurs burkinabè bénéficient d'un tarif privilégié, suffisamment élevé toutefois pour que nous n'ayons jamais vu de locaux visiter aucune de ces réserves du Burkina que nous avons eu le privilège d’explorer.
C'est l'heure du goûter, nous nous asseyons à l’ombre des hauts arbres et déposons le coffre aux trésors, une grosse glaciaire bleue. Entre des blocs de glace sont calées les bouteilles de zomcom que mon amie Mimi nous a préparées, c’est un lait végétal de mil qu’elle a aromatisé de gingembre et de menthe, délicieux ! Sans porter les lèvres à la bouteille partagée, chacun l’incline pour s'abreuver avec volupté de quelques coulées. Le liquide blanc éclabousse les lèvres noires. Nous distribuons telles des pièces dorées, les biscuits fourrés à la vanille que nous avons achetés à la ville, un grand luxe que les enfants dégustent pour la première fois ! Deux chacun. Sagement alignés, ils mangent silencieusement. Je les observe déguster les gâteaux, séparant délicatement les deux disques pour lécher l’onctueuse crème.
Enfin nous pénétrons dans la forêt. La végétation protégée est bien plus dense et diversifiée qu'au village où seuls les grands arbres résistent. Les arbustes et buissonneux sont coupés pour servir de combustible pour la cuisson des aliments et du dolo, la bière de mil. La pression qu’exerce le pâturage des troupeaux de zébus, moutons et chèvres est également considérable.
Notre guide fait la présentation qu'il a coutume de faire aux enfants. Un programme gouvernemental prévoit des sorties pour les écoliers de la ville de Boromo, de chacune des écoles comportant plusieurs centaines d'enfants seuls les dix élèves les plus méritants feront la visite. Nous nous décomplexons de n'en avoir emmené que vingt ! Le guide montre les images d'un livre de photos et parle de chaque animal présent dans la réserve. Ernest traduit ses propos en lyélé. Vivent dans la réserve des éléphants desquels nous ne verrons que les empreintes de pas et les crottes, diverses antilopes, et deux variétés de singes. Les hippopotames sont de passage à la saison des pluies, ils remontent le Mouhoun, la Volta noire des colons, depuis le Ghana. Ernest explique aux enfants que ce fleuve est le même que celui qui passe près de leur village, car à Poun – à cent kilomètres de là, on lui attribue un tout autre nom.
Nous trouvons une cartouche durant notre sortie. Beaucoup d'animaux ont disparu de la réserve par la faute du braconnage. L'effectif des gardes forestiers est passé cette année de 4 à 8 pour une superficie de 80.000 hectares. Et les moyens manquent, peu de véhicules, pas de budget pour le carburant… Les antilopes les plus faciles à chasser ont été exterminées. De nombreux animaux ont disparu sur une brève période de temps, tel le lion présent il y a vingt ans.
Les enfants ont été très attentifs à la leçon. Ga leur demande en conclusion pourquoi il faut prendre soin de ce genre de lieu. Les enfants sont déconcertés par la question, il leur soumet un petit topo sur la préservation de l'environnement naturel.
La forêt est fermée à la vue, nous nous postons un moment au bord du fleuve où les animaux viennent boire dans l'espoir d'une rencontre. Nous nous asseyons à l'ombre d'un grand arbre tandis qu’Ernest fait une présentation de son métier de tradipraticien. Pour ses remèdes il utilise exclusivement des plantes sauvages cueillies en brousse.
Il est tard et nous sommes tous affamés ! Nous retournons au campement de la réserve pour prendre un pique-nique avant de repartir. Nous demandons à nous installer sur la terrasse surplombant le fleuve, le gérant nous fait croire qu'il attend de la clientèle (de préférence fortunée et blanche) et nous envoie ailleurs. Il est commun de mépriser les gens de la brousse. C'est une excentricité que de vouloir apporter autre chose que du riz ou un vaccin à ces populations.
Nous nous installons entre deux baraques du campement et empruntons une table pour préparer les sandwichs. Au menu « produits locaux d'importation », ce que l'on trouve dans les épiceries des villes : sardines, vache qui rit et bananes. Nous partageons le repas. Les enfants mangent d'un bel appétit et finissent en se répartissant très équitablement ce qu'il reste des jus de ce matin. Nous traînons un peu, puis rangeons et ramassons nos déchets. Les enfants sont enfin à l'aise : ils discutent, rigolent ou se chamaillent. Vincent, notre chauffeur, s'endort profondément sur une couchette improvisée.
Le bus démarre, les petits s'endorment à l’instar de l’intégralité de nos collègues Burkinabè ! Nil est étalé sur moi, Ga écrase sur mon épaule et la petite Irène assise sur ses genoux s'est repliée contre le dossier. Nos corps tanguent au cahot de la piste.
Au village nous saluons longuement et « demandons la route » trois fois selon cette règle de politesse préparant le moment de la séparation, palabrant et prévoyant de nous revoir lors de l'exposé que prépareront à l’école les jeunes voyageurs. Durant le retour pour Koudougou, Baba et Ga nous répètent que les enfants vont garder pour la vie le souvenir de cette sortie, ils craignent aussi que « le petit qui a chié avec les blancs » n'en finisse pas d'être raillé !
Une visite du jardin de plantes médicinales et une intervention auprès des classes de CM2 est organisée au village de Mogueya. Le professeur est un tout jeune homme. Du fait du manque d'enseignants, alors que le baccalauréat était jusque-là nécessaire, les études pour devenir maître d'école sont à présent accessibles dès le BEPC. Elles durent deux ans. Un professeur peut donc n'être âgé que de 16 ans. En brousse, ses élève de CM2 auront en moyenne 12 ans.
Nous embarquons dans une vieille Renault 12 louée pour l'occasion. Après deux heures de piste, notre arrivons empoussiérés dans la matinée. Nous sommes accueillis par Richard et Nathalie, deux membres du groupement paysan qui cultive ce beau jardin de plantes médicinales que soutient Jardins du Monde. L'école se compose de deux bâtiments. Nous passons devant le premier qui abrite les deux classes de CP. Nous entendons les enfants hurler « Nassara !!!!! » (des blancs). Les enseignants peinent à maintenir la foule de gamins à l'intérieur des salles de classe. Les CM2 sont encadrés par leur jeune maître et le directeur venu nous accueillir. Dans la grande classe sont assis en vis-à-vis les 64 élèves. Tous se lèvent à notre arrivée et chantent une mélodieuse polyphonie, qui souhaite en français aux étrangers que nous sommes, la bienvenue au village de Mogueya. La douceur de leur chant nous laisse sous le charme.
Ga nous présente, avec son dynamisme coutumier. Son énergie est atypique au Burkina où tout « prend du temps » selon l'expression consacrée. Il s'échine à faire participer les enfants, ce qui n'est pas facile, ceux-ci n'étant pas habitués à de l'interaction dans l’apprentissage. « Quelles plantes connaissez-vous ? N’ayez pas peur de répondre… Vous en connaissez beaucoup. » Les écoliers sont intimidés. Trois téméraires, une fille d'au moins treize ans et deux garçons plus jeunes lèvent le doigt pour nommer des arbres. Pour chaque espèce Ga énonce les propriétés médicinales de ses différentes parties. Il n'y a pas une plante qui ne soigne de maux. Ga est Mossi, sa langue maternelle est le mooré, ici il parle français et Richard, le jardinier, traduit ses propos en lyélé.
Les turbulents CPDehors les CP sont sortis en récréation et se dirigent droit vers notre classe. Nil sort et se retrouve entouré d'une nuée de petits, deux ou trois cents environ. Il les chasse comme des mouches avec un bâton pour se préserver un peu d’espace, tournoyant sur lui-même. Les petits rient et le provoquent, ce qui ne manque pas de faire fortement réagir notre petit caractère.
Les cris des gamins rendent les réponses des élèves de CM2 inaudibles. Un maître sort et demande à la bande surexcitée de se taire, le silence ne se fait pas. Il revient avec la chicotte qui siège au coin du tableau et envoie des volées de coups sur les petites fesses. Les moucherons se dispersent en plusieurs escadrons.
Ga souligne l'utilité des plantes. Les cultivateurs Richard et Nathalie font lister aux enfants tout ce qu'elles nous offre : remèdes, alimentation, soin du corps, mobilier, poutres et étais pour la construction, combustible pour la cuisine, ombre pour palabrer ou siester, pâturage des animaux d'élevage, drainage de l'eau vers les nappes phréatiques qui alimentent les puits du village… Les plantes nous donnent, il faut prendre soin d'elles en retour conclut Ga.
Il parle du déboisement massif et des feux de brousse qu'il faut enrayer. Les chasseurs mettent le feu pour débusquer les lapins et perdrix. Ils font cela sans contrôle, contrairement aux brûlis des villageois pour la mise en culture, et cela fait des ravages. Il y a aussi la production du charbon qui décime les arbres et la coupe non raisonnée : abattre plutôt que d'élaguer quelques branches.
Autrefois les populations étaient moins nombreuses et le problème de la déforestation ne se posait pas. Aujourd'hui il faut replanter. Ga explique toutes les étapes pour mettre en terre un jeune plant : faire germer, semer, bouturer, mettre en terre, transplanter, arroser, enclore le jeune plant. Ga mettra en place une petite pépinière d'arbres dont la classe de CM2 sera en charge de s’occuper.
Nous sortons ensuite pour la visite du jardin de plantes médicinales du village. Le jardin est proche de l'école, il fait une superficie d'un demi-hectare. Il est soigneusement grillagé, une coûteuse dépense couverte par l’association. Il y a plein d'essences d'arbres différentes.
Entre les arbres et arbustes médicinaux s’étale une multitude de petits carrés de culture de cinquante centimètres de côté, bordés de digues maintenant l'humidité et contenant du compost (et depuis peu les intrants chimiques qui arrivent massivement au Burkina au côté des semences OGM). Les carrés maraîchers contiennent divers légumes et beaucoup d’oignons en cette saison.
Des femmes arrosent. Les puits contiennent encore un peu d'eau mais il va falloir les approfondir pour la deuxième fois cette saison.
Pause devant chaque arbre, les enfants connaissent le nom lyélé, Ga ajoute le nom scientifique en latin que les écoliers essaient de noter ! Quiz : de quel arbre s'agit-il ? Les enfants reconnaissent immédiatement en une petite pousse sans feuille de la pépinière, un baobab. Bravo, il y avait peu d'indices ! Ga explique quelle partie récolter, ce qu'elle soigne et comment la préparer. Les enfants notent des recettes. Une poignée de feuilles de goyavier portée en ébullition dix minutes traitera la diarrhée.
Les élèves intéressés et studieux prennent tous des notes.Dans le jardin des écorces d'arbres ont été prélevées, laissant plusieurs troncs à nu. Des villageois sont venus se servir sans autorisation. Natahalie fulmine : le groupement de producteurs a protégé le jardin des chèvres en ajoutant des branches d'épineux au-dessus du grillage que les bêtes parvenaient à franchir et ce sont les hommes qui sont venus saccager !
Ga explique qu'il faut prélever l'écorce petit à petit puis faire un pansement de terre qui permettra à l'écorce de se reformer. Sans cela la partie mise à nu va mourir, la sève circulera moins bien et à la prochaine récolte d'écorce c’est l'arbre entier qui mourra. Exercice pratique pour les CM2 : panser un acacia. Les enfants emplissent un seau d'eau et prennent une daba – petite houe et outil à tout faire du Burkina, pour extraire un peu de terre au pied de l'arbre. Ils appliquent un emplâtre sur chaque partie blessée. Leurs gestes sont attentionnés.
Petites mains noires et blanches se saluent et dans nos cœurs germe l'amitié.